Formation ou formatage ?
Plusieurs interrogations viennent nourrir cette réflexion qui me semble inhérente à ma posture de formatrice :
- Est ce que je viens alimenter les cerveaux des participants en leur apportant une connaissance extérieure ?
OU
- Est ce que j’accompagne le processus d’éveil des consciences sur certains sujets? Ce qui permet aux apprenants de développer un sens critique et de s’approprier - ou pas - les connaissances qu’ils reçoivent.
Pour moi cette différence de chemins entre formatage et formation est cruciale ET subtile...
J’ai une sensibilité particulière sur ce sujet. Du côté maternelle, ma famille était considérée comme juive (même si pas pratiquante) donc persécutée notamment pendant la 2ème guerre mondiale. En intégrant cette épisode de mon histoire, j’ai commencé à interroger les règles et les apprentissages car j'ai toujours eu en tête qu'en l'absence de sens critique, les informations reçues peuvent servir des causes extrêmement diverses et parfois destructrices.
En étudiant l’histoire à l’université, j’ai eu l’impression d’acquérir un savoir-faire d’analyse, un esprit critique plus que d’accumuler des dates et des noms de personnalités. J’ai compris que s’intéresser à l’histoire ce n’était pas apprendre par cœur un nombre de données mais rechercher les sources d’information dans un contexte, les analyser en séparant ce qui est de l’ordre du fait, ce qui est lié au contexte et ce qui est de l’ordre des jugements de l’auteur.
C’est cet état d’esprit que j’essaye de transmettre dans mes formations, inviter les participants à utiliser leur propre filtre, se connecter à leur cœur pour sentir ce qui leur parle ou ce qui touche à leur limite.
1) Faire une école de formateurs ?
J’ai rencontré plusieurs personnes qui s’intéressaient à mon chemin de vie car elles voulaient devenir formatrices (je dit -ices- car c’étaient toujours des femmes, eh oui l’éducation est un secteur encore très féminin). Toutes me demandaient si je leur recommandais de suivre une formation de formateurs.
Dans notre douce société française qui s’intéresse avant tout au diplôme et non à la transformation de l’expérience, cette question est toujours cruciale. Puis-je survivre sans le diplôme X pour pouvoir travailler dans le domaine qui correspond alors que j’ai déjà les compétences ?
Pour un emploi salarié en France, je crois que c’est encore essentiel d'avoir les diplômes adéquats pour ne pas se fermer de portes mais dans l’entrepreneuriat/ le consulting l’avantage c’est qu’on peut se passer de cette "formalité". Personne ne demande si on a le fameux diplôme X, surtout que dans le domaine des formation aux pédagogies actives, il existe encore peu de parcours certifiants. Vous trouverez en bas de cet article des exemples de formations longues qui me semblent pertinentes aujourd’hui pour mon métier (1)
Pour devenir formatrice, selon moi, l’important c’est plutôt d’avoir développé les compétences de transmission et d’être capable de les valoriser. Le biais d’une formation de formateurs c’est aussi d’uniformiser les méthodes de formation même si c'est aussi une source d'inspiration.
Personnellement, j’ai fait le choix de continuer à me former tout au long de mon activité par des sessions brèves sur des thématiques précises mais de ne pas faire de formation de formateur.
2) Bien faciliter une formation, c’est avoir confiance en SA manière de faire
J’ai eu l’occasion de faire beaucoup de co-facilitations pour former de nouvelles personnes à l’animation d’ateliers ou simplement les mettre sur les rails car ils étaient déjà prêts à voler de leur propres ailes.
Je me suis rendue compte qu’il y a un moment où l’apprenti(e) formateur-trice devient excellent(e), c’est le moment où il/ elle connaît assez bien les processus de l'atelier, pour s’émanciper du déroulé et animer la formation à sa manière, avec son vocabulaire, ses propres exemples et peut-être même ses propres outils.
Pour moi les meilleurs formateurs sont ceux qui ont réussi à connecter leur histoire avec leur pratique, ceux qui arrivent à être authentiques et qui du coup libèrent la spontanéité des participants tout en posant un cadre sécurisant.
3) Éducation et politique
La question d’éveiller l’esprit critique plutôt que de faire apprendre par cœur ne date pas d’hier. C’était déjà le propos de la maïeutique de Socrate dans l’Antiquité grecque : faire accoucher les consciences. C’est aussi le combat du mouvement des pédagogues défendu par les grandes associations d’éducation populaire depuis plus de 100 ans.
En commençant mes études d’Histoire et de Sciences Politiques, j’étais animé par la passion de changer le monde, de m’investir dans la gouvernance de notre société pour plus d’égalité et de liberté d’être qui on veut. J’ai vrillé vers l’éducation car je crois que c’est un métier encore plus politique ET dans le respect de chacun, par l’éveil plus que par l’imposition. Car même si nous évoluons dans une démocratie, une fois le vote passé, les représentants élus imposent plus qu’ils ne font émerger et essayent de s’adapter aux changements qui se fomentent déjà depuis quelques années dans nos sociétés plutôt qu'ils ne l'impulsent.
Alors quand j’entends des interprétations populistes de certains candidats pendant nos dernières élections sans aucune mise en contexte, quand je réalise qu’ils font des scores exubérants, je m’inquiète pour notre futur et en même temps je continue à penser que l’éducation est une des clefs les plus profondes pour faire évoluer notre société…
Pour finir cet article, je partage avec vous, un extrait du Prophète de Khalil Gibran que je trouve très parlant suite aux réflexions que je viens de vous partager sur l’éducation :
« Puis un maître dit, « Parle-nous de l'Enseignement. »
Il répondit :
Personne ne peut vous apprendre quoi que ce soit qui ne repose déjà au fond d'un demi sommeil dans l'aube de votre connaissance.
Le maître qui marche parmi les disciples, à l'ombre du temple, ne donne pas de sa sagesse, mais plutôt de sa foi et de sa capacité d'amour.
S'il est vraiment sage, il ne vous invite pas à entrer dans la demeure de sa sagesse. Il vous conduit jusqu'au seuil de votre esprit.
L'astronome peut vous parler de son entendement de l'espace. Il ne peut vous donner son entendement.
Le musicien peut vous interpréter le rythme qui régit tout espace. Il ne peut vous donner l'ouïe qui capte le rythme, ni la voix qui lui fait écho.
Celui qui est versé dans la science des nombres peut décrire les régions du poids et de la mesure. Il ne peut vous y emmener.
Car la vision d'un être ne prête pas ses ailes à d'autres »
(1) Sur les formations longues que j’ai repéré et que je trouve intéressantes, il y a :
- le DU « Acteur de la transition éducative » à l’université Paris Descartes : http://www.scfc.parisdescartes.fr/index.php/descartes/formations/recherches-interdisciplinaires/du-acteur-de-la-transition-educative/(language)/fre-FR
- le DU « Intelligence collective : facilitation, agilité, coaching » à l’université Cergy-Pontoise : https://www.u-cergy.fr/fr/formation-continue/diplomes-universitaires-specifiques/du-intelligence-collective.html